samedi 4 octobre 2008

Consommation


J’aime déjeuner seule.
Petit moment de calme et de plénitude. Toute prête à oublier ma vie un instant pour me plonger dans celle des autres.
Quelques tables alignées et vingt centimètres entre elles pour créer un semblant d’intimité.

Mon voisin de gauche à déjà avalé trois verres de rouge. Il n’a pas fini son entrée.
Son copain, la bouche pleine : « J’te l’avais dit, tu travailles trop ! Comme disait Sacha Guitry : « Les femmes, c’est comme l’argent. Si tu t’en occupes pas, elles vont faire le bonheur d’un autre… »
Sa femme vient de le quitter pour un moniteur de planche à voile… Un peu stéréotypé, mais bon, je vois bien le topo. On échange son quarantenaire bedonnant contre un beau gars bronzé et rôdé aux pratiques des sens. Eau de mer et tablettes de chocolat miam-miam.
« Mais c’est pour elle que j’ai fait tout ça ! Je venais de lui faire construire un spa, je lui ai même payée une nouvelle voiture pour son anniversaire… »
Ben oui Môssieur, l’argent n’achète pas tout !
Je dirais même que rien ne remplace l’adrénaline de la passion.
Baisers volés, étreintes torrides. La douce chaleur de deux corps perdus par leur folie commune, où plus rien n’existe que l’égoïsme des sens.
« De toute façon, elle le paiera ! Il va la jeter dès qu’il en aura trouvé une autre. Elle reviendra en pleurant pour que je la reprenne. »
Pas si sûr M’sieur !
D’abord, elle a retrouvé sa jeunesse. Ensuite elle a goûté à la liberté…
Plus besoin d’attendre son petit mari en préparant le dîner du soir. De laver ses chaussettes sales, de repasser ses chemises amidonnées de cadre sup. suant.
Et puis con comme t’es, je suis sûre que tu es marié sous le régime de la communauté, non ?

Ma voisine de droite et son collègue d’en face ont l’allure commerciale.
Tailleur et costard, brushing et cheveux ras. Tirés à quatre épingles.
Elle ne cesse de parler, lui ne répond pas.
Ils font partie de ces gens qui ne sont pas choisis. Ont les a collés ensemble, et puis c’est tout.
Il est condamné à supporter cette fille huit heures par jour, pose déjeuner comprise.
Il pense à sa femme qu’il ne verra que quelques heures au dîner, à son dernier contrat, à sa partie de poker entre potes prévue samedi soir.
Elle lui parle de son congélateur qui a rendu l’âme pendant les vacances et de tout ce gâchis découvert en rentrant « Tu te rends compte ! ». Elle lui raconte qu’elle a un quiste au petit doigt et qu’elle souffre vrrrrrraiment beaucoup. Mais elle ne veut pas d’opération, ça lui fait bien trop peur-mais oui, des fois qu’on lui couperait la main, sait on jamais !- L’avantage, c’est qu’on lui donne des cachets pour que la grosseur réduise, et ô miracle ! Ces petites pilules magiques sont des mange-graisse ! Elle a déjà perdue deux kilos en quinze jours !
« Tu te rends compte ! »
Oui il se rend compte…
Il pense que cette fille est vraiment chiante, qu’elle le prend pour sa copine, ou pour son psy.
Il pense que s’il y avait une justice, elle s’étoufferait avec sa cuisse de poulet sauce forestière.
Il se dit qu’il faut vraiment qu’il parle au patron avant de devenir complètement cinglé.

La femme derrière moi a une fille adolescente. Elle l’élève seule, et ces derniers temps, c’est vraiment la galère. « Elle me cache quelque chose, c’est sûr ! Elle s’enferme dans sa chambre pendant des heures, elle me parle mal. Et elle sent la cigarette en rentrant du collège ! ».
Sa copine n’a pas d’enfants. Elle a l’air plus jeune, un peu dégentée, style « artiste je-m’en-foutiste » : « Mais fiche lui la paix ! C’est pas facile comme période ! Si tu savais toutes les conneries que j’ai pu faire à son âge. Regarde, j’men suis pas si mal tirée ! ».
Mais l’autre ne voit pas les choses de la même manière.
Elle ne veut pas qu’à 35 ans sa fille habite seule un studio merdique où elle ne vient que pour dormir-et encore. Elle ne veut pas qu’elle arrête ses études avant d’avoir commencé, qu’elle avorte à 18 ans, qu’elle traîne avec des pommés.
Elle veut qu’elle ait une vie meilleure que la sienne, avec une belle maison et un mari qui la soutiendra. Elle veut des petits enfants en bonne santé, elle veut qu’elle ne manque jamais de rien.
Une autre vie à travers la sienne, la vie qu’elle n’aura plus jamais.
Elle veut sentir le bonheur, le serrer dans ses bras, l’étouffer d’amour, pour ne pas mourir seule. Pour ne pas avoir vécu pour rien.

Au comptoir, deux ouvriers sirotent une bière. Une vraie bière d’abbaye à la pression.
Après l’effort, le réconfort. Tout en eux pue le dur labeur. Cheveux hirsutes et mains calleuses, bleus tâchés, chaussures de sécurité.
On doit travailler pour vivre. Travailler pour manger, pour avoir un toit.
On doit parfois faire des boulots insupportables, épuisants qui vous font mourir avant l’âge de la retraite. On travaille toute sa vie pour se préparer à devenir vieux, et finalement ne jamais en profiter.

La jeune génération ne veut plus de tout ça. Ils veulent s’éclater, avoir la vie facile.
Ils arrêtent leurs études mais rêvent du job en or, « où l’on va par plaisir et pas pour gagner du blé » comme dirait l’autre.
Remarque maintenant, plus besoin de se fatiguer. Il y a le chômage, le RMI, les allocations familiales et les crédits conso. TV écran plat, canapé grand luxe 100% cuir de vachette, cabriolet, fringues à la mode, téléphone portable dernier cri…
Un petit coup de fil à Sofinco et vous voilà l’heureux propriétaire de votre richesse extérieure !

Et la richesse intérieure alors ?
Pour celle-là pas de crédit. Impossible de se racheter par petites mensualités.
Une graine de compassion, un soupçon de générosité. Pas compliqué ?
Mais bien trop difficile. Absorbés que nous sommes par ce diable de quotidien et ses gros soucis chagrins qui nous bouchent les yeux.
Et surtout le cœur.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

ah te voila Alexandra!!
t'as passée une belle journée?qu'est ce que tu racontes depuis hier??parce que ça sonne comme une évidence, les choses qu'on n'explique pas..si anodine mais tellement précieux..et je suis content de te voir..parce que c'est comme ça et parce que tu ne m'a pas quitté..parce qu'on n'a pas triché..parce que tu dessines et écrit autant..et c'est bon de te lire..parce que c'est ta vérité..
c'est drole,comme pour faire exprés ,on se retrouve au moment ou je me posais la question de l'ecriture..tellement elle m'echappe ..
et toi tu dépeins cela avec une telle limpidité et de recul que je me retrouve dans tes mots...
Il faut que je te raconte que depuis 2 semaines maintenant je suis en train de dessiner une histoire universelle ,faites de petits rien,de choses anodines qui font le sel de la vie..une histoire d'amour qui s'achève ...et mon personnage (principal??) s'interroge sur les choses de l'existence ,des observations qu'il peut faire sur le monde qui l'entoure, tour a tour tendre ou complètement dans la révolte,ne s'épargnant pas non plus dans ses questionnements ..Depuis 2 semaines donc j'avais une idées fortes de l'écriture à employer dans l'élaboration de cette bande dessinée ... sans vraiment pouvoir la formuler sur le papier!!et quand je t'ai lu..tout prenait sens..
alors à tout de suite parce qu'il faut qu'on se parle...qu'on se raconte ces années passés,de ces gens rencontrés, ou des rêves à accomplir..
merci la vie..
comme je suis content que tu sois là...
ps:Je reviens tout justes d'une si belle et agréable soirée(il est quand même 6 h du mat) que ta présence ce matin est la cerise sur le gâteau(euh..je t'avais prévenu que je ne savais pas formuler mes mots!!)

comme je suis content..


moniri 06 03 77 31 94

Anonyme a dit…

Laetitia
plus belle bourde que ça y a pas mieux non??
j'vais me coucher...
moniri