lundi 9 juin 2008

J'ai rencontré Napoléon...


Déjà l’automne. Il n’y a jamais d’été à Paris.
Ou sont-ce les parisiens qui font fuir le soleil ?
Je m’en fous, je ne me laisse pas abattre et boit mon café en terrasse.
Et j’écris pour écrire je crois. Pour faire quelque chose de ce triste dimanche au lieu de dormir, de rester, de stagner depuis trop longtemps.
J’en suis au stade des grands projets. Esprit florissant et mains fainéantes.
Je m’abîme de conscience.
Il fait froid, je regarde les gens emmitouflés de cache-misère.
J’ai envie de fumer. J’ai arrêté.
Moi, arrêter quelque chose ?
Si seulement ça pouvait être le temps, les habitudes, les contraintes, la routine…
Tout pour une cigarette. Nicotine de malheur.

Un autre que moi n’a pas froid aux yeux. Un grand nonchalant, presque chauve, presque charmant. Il s’excuse d’un demi sourire d’avoir frôlé ma chaise pour s’assoir à la table d’à côté alors que la terrasse est vide. Je vois le truc venir de loin. Pas manqué !
Il y a toujours quelqu’un pour déranger vos petits moments de solitude désespérée, et merde.

« J’aime ces journées ternes où le temps ne masque plus ce que sont vraiment les gens.»
… Ben, double merde là alors ! On répond quoi à ce genre de chose ?
Déjà, il faudrait l’analyser quelques heures avant de pouvoir pondre un truc constructif. Mais là ça ne s’appelle plus une conversation. Je n’ai même pas envie de lui demander ce qu’il entend par là, pas envie d’entrer dans un discours métaphysique à la con.
Je voudrais juste retourner tranquillement à mon analyse perso sur le monde qui m’entoure et mon envie de clope, à m’apitoyer un peu plus sur mon sort. Trop tard…
« Vous aimez le vin ? »

Je commande un Saint-Nicolas de Bourgueil.
Gilles est écrivain à ses heures perdues. Il me demande ce que j’écris.
« Un grand roman bien-sûr ! Ce sera un best-seller, la plus belle histoire d’amour du XXIème siècle ! » Et je ris. Je n’écris que pour moi, c’est ma psychanalyse personnelle. Pas chère et bien pensée. J’écris aux gens que j’aime sans pouvoir le leur dire, à ceux que je déteste pour pouvoir les maudire. Je rempli des pages parce que je préfère le noir au blanc. Ça n’a aucun sens, aucune finalité, ça fait juste du bien et c’est parfait comme ça.

Nous continuons à boire du vin pendant plusieurs heures, discutant littérature.
Gilles me vouvoie. Et contrairement à mes habitudes je le laisse faire, je me prends au jeu.
Ça me fait l’effet d’une barrière impudique, titille mon imagination, excite mes sens.
Tout en sous-entendu, en regards volés, en sourire détournés, en désir à peine masqué, il me fait la cour comme à une héroïne de Maupassant.
Ça colle à ce personnage qui parle comme un livre. De 15 ans mon ainé, il semble vivre dans un autre siècle avec sa longue veste noire et ses gestes galants.
Gilles ressemble à Napoléon et ça l’amuse beaucoup. Il n’en a pas la stature mais bien le profil. Il met la main dans son gilet, prend un air sérieux et me demande d’être sa Joséphine.
Pauvre de moi si je fini comme elle !

Napoléon pour gagner sa vie est cuisinier. Il me propose un dîner mijoté à son appartement.
« Rien que pour vous ma Joséphine… »
J’ai déjà bien mijoté, bien fantasmé, je suis déjà cuite aux petits oignons. J’accepte donc sans sourciller. Mon galant appelle un taxi.

Entre chien et loup, à l’épilogue de cette froide journée Paris semble s’endormir doucement.
Je regarde la ville la plus romantique du monde s’illuminer de milles feux, tandis ce que mon bel-ami prend pudiquement ma main dans la sienne. Ce contact me fait l’effet d’un baiser passionné, irraisonné. Je n’ai pas entendu où l’on va et ça n’a pas d’importance. Je laisse couler la Seine, le flot des boulevards, je laisse partir le temps.

Le dîner est délicieux, accompagné de chandelles et de Chopin. Un moment charmant, romanesque, inattendu. Je sirote mon vin avec délectation dans l’attente d’une apothéose repoussée jusqu’aux confins du possible.

Malheureusement, Napoléon m’a fait l’amour comme on fait la guerre…
Conquérant, chevauchant vers l’ennemi sans prendre garde au chemin.
Oublié les pudiques vouvoiements et les sensuelles galanteries.
Mon désir me quitta aussi sec et Napoléon perdit la bataille.
Je le laissais à sa défaite, pressée de retrouvez ma tendre solitude.

En chemin je croise un type. « Bonsoir, vous auriez une cigarette ? ».
« Bien-sûr », il me l’allume. « Et c’est où le métro le plus proche ? ».
« Invalides, tout droit ».
Ironie du sort. Morte et enterrée la belle aventure romanesque.
Adieu l’empereur ! Nicotine de malheur…

Adrien ressemble au Ché.


23 février. Ce soir à minuit, j’aurais 21 ans et un étonnant cadeau d’anniversaire.
En attendant, ignorant mon destin, je lézarde au soleil sur le parvis du centre Pompidou avec pour seuls compagnons mon carnet de croquis et mon appareil photo.
Je saisi les baisers volées, les tendres murmures à l’ombre d’étranges architectures, encre les petits groupes assis en cercle…
Il me tourne le dos, discutant avec deux amies. Je ne vois que ses boucles brunes, accrochant la lumière, caressant son cou au grès du vent. Ses larges épaules et ses mains masculine et forte, si douces dans ses gestes.
Curieux de se voir dessiner, il m’a abordé et c’est lui qui a fini par me croquer.
Je l’ai goûté quelques heures plus tard, doux et langoureux.
Adrien ressemble au Ché. Les cheveux en bataille et la barbe travaillée.
Il croit en l’humanité, à la beauté de chaque chose, il croit à l’amour charnel comme exutoire, sans autre arrière pensée. Il a le diable au corps et m’a offert le sien.
Quelques heures à révolutionner le monde, bien au chaud, près du cœur.
Deux corps enlacés pour faire la guerre à la guerre, deux cœurs qui battent à l’unisson oubliant un instant toutes les horreurs du monde.

10h14, un ange passe...


A l’arrière du bus 86, j’ouvre mon cœur à la ville.
Sur cette passerelle extérieure un homme, passionné de Paris me raconte la ville.
Il me prend pour une touriste. Je ne déments pas et le laisse me faire redécouvrir ma vie.
A mon cou, devant mon œil novice, mes doigts émerveillés caressent un nouvel appareil photo. Mon premier appareil photo. Aucun mode automatique, pas d’autofocus.
Mon intuition, le hasard décideront pour moi.
Ma première pellicule, une Ilford 180. Cette première histoire se dessinera en noir et banc.
Les colonnes de la nation, le rue de Pyrénées. Les gens montent, descendent. Le paysage change, je clic, je clac.
Et je sais très bien qu’attendre de cette toute première pellicule. 36 poses.
36 petits bouts de vie, rien de plus. Je m’en fous. L’important n’est pas la finalité.
Aujourd’hui je n’ai aucun but. Je goûte, j’explore. L’important aujourd’hui, c’est le chemin.
Je descends à Barbès. Je clic, je clac ce pays inconnu. Et je marche, je monte. Lamarck-Colincourt. Bientôt, je serai là-haut, à Montmartre. Je serai une vraie touriste, un appareil photo autour du cou, émerveillée par Paris, la plus belle ville du monde.
Une famille se promène, les parents, un petit garçon à vélo et une fillette profitent comme moi de ce samedi ensoleillé. Elle a l’air d’un ange.
J’amène l’appareil devant mes yeux, la mise au point est longue. Aussi longue que mon expérience de photographe est courte. Elle est déjà partie en courant, éclipsant l’instant que je n’ai pas su saisir.
Puis soudain, elle s’immobilise.
Je clique.

10h14, un ange passe…

Julien a un carnet

Julien a un carnet.
Je ne l’ai jamais vu, mais pour moi, c’est forcément un carnet rose.
Chaque fille qu’il a aimé, ne serait-ce qu’un instant y a sa place.

Est-ce que je figure dans ce carnet ?
Probable que oui. Puisque dans une cage d’escalier, après un dîner un peu trop arrosé, nous sommes devenus un peu plus intimes que de simples amis.
Un moment de folie, presque oublié bien qu’inoubliable.

Je sais seulement que pour chaque fille figure un prénom et une petite phrase.
Quelque chose de spécial, un signe distinctif qui fait que cette fille là, comme toutes les autres ne sera jamais oubliée.

On peut trouver ça fou, dégeulasse. On peut voir Julien comme un macho, un séducteur, un collectionneur. Moi je trouve que c’est une preuve de grand respect que de vouloir se souvenir de chaque histoire de sa vie, qu’elle ait duré quelques heures ou plusieurs années.
J’aimerais moi, me souvenir de tous les hommes de ma vie, que je les aie aimé ou détesté. Mais ça n’est pas le cas.

Un jour, Julien est arrivé dans son carnet à la fille n°99 de sa vie.
Et tout d’un coup c’était évident, la 100ème serait forcément la bonne !
C’est trop symbolique, ce chiffre rond comme une queue et deux seins.
L’harmonie parfaite, l’osmose du cosmos.
Pour la première fois de sa vie, il a donc attendu longtemps pour la trouver.
La seule, l’unique. Son impératrice des sens, la fille parfaite.

Mais l’amour n’est pas une donnée quantifiable. La vie ne fonctionne pas comme ça, ce serait beaucoup trop simple et sûrement trop chiant.

Julien compte aujourd’hui 146 filles dans son carnet. Et la 100ème ne fut évidemment pas la bonne. Mais le hasard de la vie met tout de même de l’ironie en chaque chose.
La 100ème s’appelait Marie, et elle était vierge.

Valentine

Ah Valentine…
Ma Valentine…
Ce parc est plus beau encore qu’au jour de notre rencontre.
Je revoie tes boucles flottant au vent, tes joues rosies par les prémices de l’hiver.
Et je me félicite encore de l’audace qui me poussa à t’aborder, moi qui suis si réservé.

Valentine, ce banc rougi encore de nos après-midi enlacées, de nos confidences indécentes et nos baisers volés.

C’est encore l’hiver Valentine, et je n’ai pas changé.
Je caresse du doigt nos initiales, à jamais gravées sur le banc de nos amours d’enfants.
Elles sont douces et chaudes, Valentine. Elles parlent toujours au soleil et murmure au vent combien je t’aime.

Une dame s’assoie à mes côtés depuis quelques temps.
Elle lie des poèmes Valentine, toi qui les aimais tant.
Les poètes disparus, ces artistes d’un autre âge.
Nous aurions pût les connaître Valentine, si l’on été nés 10 auparavant.

Elle a les cheveux blancs Valentine, comme l’hiver de nos 20 ans.
Et les joues rose Valentine, comme toi il y a si longtemps.

10 ans que ce banc me porte seul ma Valentine.
Comme aurais-je imaginé me remarier à 80 ans ?

Sois mon amie Valentine, toi ma plus fidèle confidente.
Je me marie Valentine, comme un jeune homme de 20 ans.